smiling flash, talking trash
under your breath
Les bruits courent vite à Avalon. Ça t'avait pas pris longtemps de faire courir les tiens. T'étais sortie de nulle part, du jour au lendemain, tu avais fait une entrée remarquée — et travaillée pour. Maquillage, escarpins, tenues de scène plus ou moins tape-à-l'oeil, quelques clins d'oeils et battements de cils, ce qu'il fallait de toupet et double dose d'assurance, et t'étais lancée. En un mois à peine tu pouvais rentrer dans ton loft étrangement design pour le paysage local, t'affaler dans ton sofa blanc et contempler la naissance d'une idole. Faut dire que tu ne manquais pas d'air. Avalon avait connu son lot de mégalos, mais aucun assez givré encore pour se la jouer comme toi. Tu collais pas au décor, Charlotte, t'avais rien à faire là. Tu te fichais de ses allures de fantasy, de son côté sauvage, des ses fausses promesses d'aventures. Le monde réel et sa modernité te manquaient : la technologie, les réseaux sociaux, le capitalisme. Même la magie au fond ça te faisait même pas rêver, tu n'y voyais qu'un moyen de te faciliter la vie. C'était pratique, c'était commode. Tu avais trouvé en elle le plus vrai des maquillages. Quand à ce nouveau monde qui en faisait fantasmer plus d'un, t'en avais fait ta voie pavée vers la renommée. Il ne t'intéressait que parce que personne n'en avait encore pris la scène comme tu comptais le faire. Hashtag #fabulous et overdose de glamour, t'étais une véritable diva. Le temps de tout mettre en place, ça fait deux mois que ta nouvelle carrière a véritablement décollé. L'idol montante de ce monde épargné par la médiatisation.
sleep on the floor, dream about me
Tu ne croyais pas à la chance. Nulle bonne fortune n'aterrissait par beau hasard sur les genoux du malheureux. Il n'y avait que le talent. Et le courage de le feindre.
Do the people whisper 'bout you on the train like me?
Saying that you shouldn't waste
your pretty face like me?
« Charlotte. » Le nom revenait de plus en plus souvent dans les discussions. C'était le nouveau phénomène d'Avalon, du divertissement qui se vendait — savamment — comme tel. C'était une charmante jeune fille avec une gueule d'ange et une voix superbe. C'était l'arrivée du show-business dans cette petite bulle coupée du monde réel. C'était la reconversion d'un bâtiment vide en la première salle de spectacle de Babylon. C'étaient des concerts, une silhouette qu'on reconnaissait dans les rues et qu'on suivait des yeux au passage. Un modèle à suivre, idéalisé, fantasmé.
C'était enfin ton heure de briller.
I forgot I used to have my own
Toi, le pauvre gosse raté. Éclipsé par le génie de sa soeur jumelle. Au début tu t'en moquais, t'étais même son plus grand fan. Vous étiez tellement proches. T'étais loin d'être bête, pourtant, mais elle volait haut au-dessus de toi, et tout le monde avait les yeux levés vers elle. Tu l'admirais tellement. Tu détestais l'école, qui t'emmenait loin d'elle, tandis que les meilleurs tuteurs du pays défilaient chez toi les bras chargés de bouquins. Tu passais tes journées à attendre le moment où tu passerais de nouveau le pas de ta porte, pour la retrouver, et tu passais le reste de tes journées à boire ses paroles. Et puis elle t'a laissé tombé pour ses robots. Tu n'arrivais plus à suivre. Elle ne te laissait pas. Elle était toujours occupée, concentrée. Et plus son nom prenait de l'ampleur, plus le tiens disparaissait.
You can't wake up, this is not a dream
You're part of a machine, you are not a human being
With your face all made up, living on a screen
Low on self esteem, so you run on gasoline.
Et puis tu l'avais perdue pour de bon. L'Éveil te l'avait volée. Elle t'avait parlé de la magie. Tu l'avais pas crue. T'aurais p't'être dû.
Là encore, elle avait une longueur d'avance. Elle avait passé presque trois ans à se préparer à une éventualité qui ne se présenterait peut-être jamais. T'avais trouvé ça stupide. T'étais devenu pessimiste.
Alors, quand elle avait peu à peu migré dans cet autre monde parce que le tiens ne lui suffisait plus, tu avais simplement haussé les épaules. Tu t'étais réfugié dans tes magazines d'idols japonaises. Ça t'écoeurait de les voir tout obtenir pour de simples sourires. T'aurais aimé être comme elles. T'étais peut-être pas souriant, mais tu l'avais été. T'avais eu le plus adorable des sourires qu'un petit garçon puisse avoir. Et c'était pas ta soeur qui te ferait concurrence. C'est ainsi que, bêtement, l'idée avait commencé à germer.
Becoming strangers once again
Or maybe that's all we ever were
Mais tu ne t'en étais pas rendu compte avant de t'Éveiller à ton tour. Un miracle que tu n'attendais pas. Ton premier ressenti fut celui du dégoût. Avalon avait un goût amer dans ta bouche. Tu regrettais de ne pas l'avoir écoutée, de ne pas avoir étudié la magie avec elle. Si seulement t'avais su. T'en voulais à ce monde d'avoir accaparé ce que son génie t'avait laissé d'elle. Et puis t'avais compris que le destin t'offrait une occasion.
La magie t'avait ramené à elle. La magie t'offrait les moyens de te venger. T'avais toujours été jaloux d'elle. Elle t'avait aidé à donner vie à ton idée. Avec elle, t'avais appris à te transformer. Elle avait compris trop tard. Le jour où t'étais venu la voir avec son visage, un sourire moqueur sur le bout des lèvres. Puis tu t'étais détourné d'elle, à la façon dont elle s'était détournée de toi. T'avais bossé sur des moyens d'améliorer ta voix grâce à la magie. Les longues heures passées dans ta chambre à apprendre des chorégraphies du moment, ainsi que ton goût pour la comédie t'avaient donné des appuis solides. Et t'avais commencé à bâtir ta légende. Tu voyais loin.
I'm double-sided
Aujourd'hui, tu laisses Ian Charlotte au placard. Ce petit connard qui n'avait jamais rien eu pour lui reste confiné dans l'atelier qui surplombe le théâtre, et que ta soeur et toi aviez rapidement réaménagé en loft spacieux à ton arrivée à Babylon. Et de là, à l'abri des regards indiscrets, Ian rigole, fort de son succès. Dehors, il n'est plus que Charlotte, la nouvelle coqueluche de Babylon, celle que les plus physionomistes prennent parfois pour la face cachée de Parker elle-même.
got your make-up on and you're not coming back
Et tu te marres. Parce que tu l'as battue sur le terrain qu'elle s'était choisi, avec son nom de famille, et avec son propre corps.
T'as gagné, Ian.